lundi 30 avril 2012

ÉLOGE DE LA PÉNÉTRATION


 



ÉLOGE DE LA PÉNÉTRATION

en relisant "Lady Chatterley"

 
A relire, aujourd’hui, « L’amant de Lady Chatterley » (1928) de D.H. Lawrence, à relire, surtout, les pages cruciales qui en firent un livre scandaleux et maudit, censuré et interdit, on en reste interloqué, surpris et incrédule.

Le passage le plus incriminé du livre comporte une quinzaine de pages qui évoquent le coït entre un homme et une femme, Lady Constance Chatterley et le forestier Oliver Mellors ou, plutôt, pour être plus précis, deux coïts. Sur le sol de la cabane du jardin.

Un premier, qui pour la femme se passe mal, « oui, dit-il, c’est raté, cette fois-ci, vous étiez absente… », elle n’a rien senti il n’y a eu que « cette sorte de frénésie du pénis acharné à obtenir sa petite crise d’évacuation… »

Puis, aussitôt après ce ratage, s’enchaîne la deuxième séquence, deuxième tableau du diptyque. Quand l’homme s’est reboutonné et s’apprête à partir, Constance le rappelle, lui demande de la tenir, elle veut être sauvée de la résistance qu’elle lui a opposée. Et dans les bras qui la reprennent, elle devient « petite et câline », et pour l’homme « infiniment désirable ».

Les quatre pages suivantes sont un éloge lyrique de la pénétration et de la possession, une célébration de l’extase charnelle et de la fascination sensuelle des corps : « Comment était-ce possible, cette beauté, là même où elle avait naguère senti tant de répulsion ? »

Le pénis en elle lui procure un intense orgasme évoqué en une longue phrase qui s’étale sur une page entière et où, avec force métaphores océaniques de vagues et de plongeons, il n’est question que de beauté, d’émerveillement, de béatitude…, cela avait été « plus délicieux que rien d’autre ne pourrait jamais l’être… »

La description de l’accouplement est tout allusive, l’intensité des sensations est évoquée en termes imagés. Et le lexique anatomique, pour l’homme, comporte une ou deux fois les mots « pénis » et « couilles » « La vie dans la vie, la simple beauté, puissante et chaude ! Et le poids étrange de ses couilles entre les jambes ! Quel mystère ! Quel poids étrange, lourd de mystère, qu’on pouvait tenir ainsi, doux et lourd, dans ses mains… » . Et pour l’anatomie féminine, juste les mots « seins » et « ventre », le sexe n’est nommé par aucun mot en tout cas pas dans ce passage-ci ; (il est vrai que dans le roman entier l’accusation avait repéré quatorze fois le mot « cunt ».)

A relire aujourd’hui, après quatre-vingts ans, ces pages cruciales, toutes tendres et délicates, d’une éloquence lyrique presque fleur bleue, on se demande comment et pourquoi diable, on ait pu appeler cela obscène et obtenir une interdiction pour pornographie qui durera plusieurs décennies, aux USA jusqu’en 1959, et en Angleterre jusqu’en 1961, où la publication non expurgée fut enfin permise, au bout d’un procès ridicule, hallucinant et pathétique qui dura toute une semaine.

Ce qui se passe entre un homme et une femme au moment de l’accouplement peut être ressenti comme quelque chose d’inouï, quelque chose de miraculeux et s’il est presque impossible d’en parler de façon adéquate, on peut estimer que la tentative de Lawrence d’y mettre des mots est une émouvante subversion contre le mutisme, contre la bêtise, contre la haine du corps et du plaisir.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire