graphisme L. Sch. |
mercredi 24 février 2016
féminine main
chapitre
LVIII
Tant de choses auxquelles il faut réfléchir sur cette
terre, écrit Olav Hauge, une vie n’y suffit pas, après le boulot, écrit-il, tu
peux rôtir un morceau de porcelet et lire de la poésie chinoise, le vieux Laërte,
écrit-il, élague ses mûriers, bine entre ses figuiers, et laisse les héros s’occuper
de la bataille de Troie, le mélancolique ermite se retire, essaye de fuir les
affaires du monde, les dix mille affaires dans le bruit & la fureur, il
cultive sa tristesse et s’émerveille devant la colonie d’amaryllis sur le
rebord de sa fenêtre, gracieuses amantes d’hiver. Il lui arrive de sourire.
Personne ne voit son sourire.
2.
Dans son journal, en 1544, Ignace de Loyola note jour
après jour, comment le matin, avant, pendant et après la messe, ses larmes
coulent : il a la vision de l’être divin, il écrit qu’il contemple le
divin sous forme de sphère.
3.
Merveilles de la religion relevées dans la presse en
1944 à Naples : à l’église Sant’Agnello un crucifix a régulièrement des
entretiens avec une statue de Santa Maria d’Intercessione ; la statue de
Santa Maria del Carmine qui pendant le siège de Naples par Alfonso d’Aragon
avait bougé la tête pour éviter un boulet de canon, continue à faire ce geste,
jour après jour, alors qu’il n’y a plus de boulets ; dans la même église
le roi venait avec sa suite une fois par an pour assister à la séance de travail
du barbier royal qui rasait les cheveux qui avaient poussé à un Christ en
ivoire au cours des douze derniers mois ; à l’église San Giovanni a
Carbonara on conserve une fiole avec le sang de l’apôtre Jean qui se met à
bouillir à chaque fois qu’on fait une récitation de l’évangile. Une religion
sans miracles n’est pas une religion. Il faut tout le temps prier pour qu’il y
ait encore & encore des miracles.
4.
Narquoiserie du songe : comment, d’un geste net,
elle plonge sa main dans mon pantalon pour saisir la bite à travers le slip, en
disant : tu vois comment cela éveille aussitôt mon désir… — mais ce n’est
qu’un tour de passe passe du maître de cérémonie des songes, puisqu’évidemment,
ce n’est pas elle qui désire, mais moi qui bande.
5.
Tant de manières, pour la main féminine, de se saisir du
phallus érigé, c’est un geste beau & plein de grâce. Aucun peintre n’a
jamais traité le sujet, sauf peut-être par très vague allusion, mais jamais
explicitement. Et on essaye d’imaginer ce que cela aurait donné chez un Van der
Weyden, un Corrège, un Delacroix.
6.
La table du grenier est la plus grande de mes tables
de travail : deux mètres de large, deux lampes, place pour poser, exposer
beaucoup de livres — livres que je ne lis pas ailleurs que là, plusieurs
chevalets sur lesquels les livres restent ouverts, ce matin je lis dans « A
Writer’s Notebook » de Somerset Maugham, il compare Maupassant et Tchékhov,
puis quelques pages dans « Introduction à la vie dévote » de saint
François de Sales, il commente l’épouvante de l’éternité infernale, hélas ! si une puce en notre oreille,
si la chaleur d’une petite fièvre nous rend une courte nuit si longue et ennuyeuse,
combien sera épouvantable la nuit de l’éternité avec tant de tourments !,
puis deux pages de « Molly Bloom’s Soliloquy » dans « Ulysses »
de Joyce, à haute voix, défrichage déchiffrage, désentortillement des
télescopages, Id let him see my garters,
je lui frais voir mes jarretelles, the
new ones and make him turn red looking at him seduce him, une voix enrouée,
en cascades, cela fait de rapides images, glimpses, la blanche peau des
cuisses, bribes de texte, engrenage, fragments de nuage, chez Maugham en 1900, fragments of cloud, tortured and xxxxx [illisible
dans le manuscrit], fled across the sky
like the silent souls of anguish persued by the vengeance of a jaleous God,
je viens ici m’attabler à cette grande table, au grenier où il n’y a pas de
fenêtre, où je ne vois rien du monde, il n’y a qu’une lucarne carrée, oblique,
coupée dans le toit, carré du ciel, je viens ici quand la mélancolie me
submerge, m’attabler à la grande table, où sont ouverts les livres que je lis, « Die
letzten Dinge » [Les choses dernières], de Romano Guardini, célébrissime
théologien, un solennel & merdique traité sur la résurrection et l’immortalité
de l’âme, la manière de penser des Temps
modernes qui conçoit le tout de l’existence par les lois des sciences naturelles
et par les systèmes philosophiques, est renversée, écrit-il, la plus réelle de toutes les réalités c’est
Quelqu’un, le Fils de Dieu devenu Homme, c’est lui, dit le théologien, qui nous a fait la révélation (Offenbarung) de la doctrine du Jugement, puis
quelques lignes à écrire sur le souvenir d’un réveil, le matin, à l’hôtel « Horizon »,
rue du Crève Cœur, comment dans le grand lit elle s’étale, s’offre, s’ouvre, se
laisse voir, se laisse regarder, et me regarde la regarder, les pages lues
& les pages écrites s’enchevêtrent, les jarretelles de Molly, les tourments
de l’enfer, les bribes de nuages, le carré de ciel, la belle vulve velue de l’amante,
les tiges sublimement obscènes de l’amaryllis, les larmes mystiques d’Ignace.
7.
De temps en temps, dit-il, je fais une pause et pleure
un coup, c’est inutile mais ça rince les yeux.
8.
Le silence
éternel de ces espaces infinis m’effraie, écrit Blaise Pascal. C’est la phrase
la plus importante du XVIIe siècle, la plus significative des Temps Modernes. Et
nous n’en sommes toujours pas revenus.
Pascal, lui, après avoir proféré ces paroles inouïes,
va se jeter dans les bras du Dieu
d’Abraham, d’Isaac et de Jacob : la dramatique lucidité de l’esprit mature
et autonome, il n’arrive pas à l’assumer, c’est pourquoi il la dissout et neutralise
dans l’infantile régression religieuse.
9.
On n’a jamais mieux défini ce qu’est la foi religieuse :
Ignace de Loyola, le fondateur des jésuites, écrit dans ses « Exercices spirituels »
(1548) au chapitre 365 : Pour ne
nous écarter en rien de la vérité, nous devons toujours être disposés à croire
que ce qui nous paraît blanc est noir si l’Église hiérarchique le décide ainsi.
On n’a jamais, avec autant de précision et de cynisme,
défini l’abdication de la pensée devant la religion.
10.
Quand vient Maria, la femme de ménage, pour ses trois
heures hebdomadaires, cela me perturbe, bien que son travail soit utile, et
même indispensable, cela me perturbe parce que mon rythme de vie, mes habitudes
de solitaire sont chamboulés. Arrive dans ma boîte aux lettres un nouveau livre
avec des poèmes de Linda Pastan, « Queen of a Rainy Day », je l’ouvre
aussitôt, mais je n’ose pas lire à haute voix, comme je fais toujours — Maria
pourrait entrer à l’improviste.
mardi 23 février 2016
FRAGMENTS DU JOURNAL INTIME DE DIEU - fragment 1137
Fragment 1137 — Parmi tant de
manières d’appréhender cette religion, il y a la manière humide, visqueuse, gluante.
Sueurs, larmes et sang — emblèmes
de la souffrance.
Dans son sermon sur « La
nécessité des souffrances », Bossuet met du sang dans chaque phrase, pendant
une demi-heure. A propos du Christ il écrit que les fidèles doivent de toutes parts dégoutter de sang et porter imprimé
sur eux le caractère de sa croix et de ses souffrances. Et saint Augustin parle
dans son Sermon 351 du sang de nos âmes :
ce sont les larmes que nous pleurons sur nos péchés.
Cela fait beaucoup de dégoulinerie.
Comme dans l’horrible film de
Mel Gibson où le jus rouge tomate coule à flot du début à la fin, à cause des méchants
juifs.
J’avoue — et ne serait-ce que
pour le bon goût et la décence — qu’en termes de dévotion, ma préférence va plutôt
aux sèches ferveurs d’un Eckhart, d’un Nicolas de Cues ou d’un Érasme, ou même à
la toute philosophique piété du taciturne solitaire des Pays-Bas, je veux dire Spinoza,
mon préféré (mais secret !) depuis toujours.
.
samedi 20 février 2016
rien pigé
Paul Klee: Pierrot lunaire, 1924 |
vient l’été avec ses missives et ses
mouches
et l’hiver avec ses caniches et ses
flaches
vient l’automne avec ses pommes pourries
et le printemps avec sa craintive
jaunerie
et l’océan avec son ressac et ses radeaux
et le ciel avec ses brèches et ses grues
et l’horizon avec ses chutes et ses
trappes
et vient la nuit, encore, avec son encre
je fredonne j’ai rien pigé mais tout noté
dans "je est un pronom sans conséquence"
éditions phi, coll. graphiti, 2014
vendredi 19 février 2016
piteusement
peinture de Paul Klee |
comme le plus que probable corbac
déambule perdu le long des chaumes
comme les deux obèses baleines
guirlandent leur menuet en mi bémol
comme la clé baroque en fer blanc
cliquette vainement sur la serrure du
ciel
comme un nasillement tout prude abîme
l’embroussaillement d’une lascive fougère
ainsi bibi pépie piteusement ses piperies
dans "Je est un pronom sans conséquence", 99 neuvains
éditions phi, coll. graphiti, 2014
mercredi 17 février 2016
monter au ciel
dessin Lisa Schlechter |
pariade de l’hibiscus et de l’ibis
bénie par un trombone passablement faisandé
ils vont à poil, les énergumènes
fiers de leurs rotules et de leurs omoplates
cacophonie des campanules, des capucines
on va béquiller et bécoter à la ronde
je ne sais pas encore quand je vais monter au ciel
mais les vannes déjà favorablement clapotent
un courant d’air, par ici, m’a tout révélé
dans
"Je est un pronom sans conséquence", 99 neuvains
éditions phi, coll. graphiti, 2014
dimanche 14 février 2016
elle voit le ciel gris
ultime notule
peinture de Pierre Aleschinski |
chapitre
LVII
1.
Comme une artillerie verticale dont elle entend le
ra-ta-ta dans le silence de la nuit : glands qui tombent du grand chêne
voisin sur le toit de tôle et elle voit au loin dans le futur la forêt de
chênes qui finira par engloutir la maison. — (sur un motif de Linda Pastan)
2.
Inécrivables billets, je les écris quand même, les
date, les numérote, billets avec tutoiement, mais peut-être qu’elle n’en verra
pas un seul. Le tu n’opère plus.
3.
Elle intitule son poème Tannenbaum et raconte l’histoire de cet arbre de Noël, dont le
squelette, à la fin février, traîne encore dans un coin de la véranda, et pas
question de l’enlever : un couple de roitelets a bâti son nid printanier à
l’abri des branches.
4.
Depuis ce jour-là j’écris Feu avec majuscule, comme ça
je n’ai pas à expliquer — c’est le plus violent & le plus bref pensable des
biographèmes.
5.
Amoncellement de billets, par centaines depuis
quelques mois, avec la même destination, la même destinatrice, entreprise aussi
émouvante que stérile, jour après jour, billets de toute sorte, sur feuilles
volantes, à la marge de livres, dans des carnets de tous les formats, mais
toujours avec la même encre, trois lignes, quelques vers, souvent neuf, quelques
alinéas, deux ou trois pages, télégrammes, élégies, plaidoyers, réquisitoires,
implorations, brouillons de lettres, centaines de brouillons pour centaines de
lettres pas envoyées, —————— à qui d’autre parler de tout cela, mais elle est
partie sur un autre continent, hors de toute atteinte, — et cela fait encore un
billet sur le tas des billets.
6.
Passage dans « Lettrines » où Gracq par ses
altières préciosités m’énerve — je griffonne à la marge : ça veut rien dire mais c’est bien dit. A
chacun sa poétologie.
7.
Le patriarche Cyrille, chef de l’Église orthodoxe
russe, déclare que des jeunes gens deviennent terroristes parce qu’ils sont outragés par les parades Gay Pride.
L’ayatollah Karem Sedighi, chef de la prière du
vendredi à Téhéran, déclare que l’augmentation des relations sexuelles
illicites va accroître le nombre des tremblements de terre.
8.
Un feuillet rescapé du Feu, vieille facture, un peu
froissée, abîmée par l’eau, pleine de taches, mais encore bien lisible, l’année,
le mois, le jour, Hôtel L’Horizon, à T. en Lorraine, rue du Crève Cœur, une
nuit, deux petits-déjeuners.
9.
Sur ma fiche
physiologique, rubrique état général :
pleurage endémique.
10.
Abymeries & apogryphages — pour insérer en fraude
l’un ou l’autre alinéa ininsérable autrement que par cryptage. Muss es sein ?
Es muss sein. Et sans cesse le malsain fantasme que c’est l’ultime notule dans
la rubrique « Notultimes ».
LA LIASSE DES DIX MILLE FRAGMENTS
vendredi 12 février 2016
FRAGMENTS DU JOURNAL INTIME DE DIEU - fragment 8507
Fragment 8507 — En tant que
dramaturge, je reste assez fier de ce chapitre inaugural avec Adam & Ève —
l’épisode paradisiaque est et reste un modèle de ce qu’on peut faire de
meilleur dans le domaine romanesque. Et moi, dès le départ j’ai posé mes jalons
de chef.
Leur histoire a finalement
abouti, comme on sait, à leur vie sur terre, où de copulation en copulation
leur descendance était devenue de plus en plus nombreuse. Il fallait bien un
jour penser à institutionnaliser mon statut.
Avec Abraham, sur une
solide base affective, puis avec Moïse dans une optique à la fois juridique et
géostratégique, nous avons ancré les fondements de mon règne conçu comme unique
& exclusif.
Plus tard les lettrés et
les glossateurs utiliseront la vigueur et la clarté de la langue grecque pour
appeler cela monothéisme. J’étais bien satisfait lorsque ce lexème fit son
apparition : il optimise singulièrement le discours sur ce qui me définit.
Les choses se
compliquèrent, hélas, quand quelques siècles plus tard, le zélateur Paul de
Tarse, étant un jour tombé de son cheval, cela le traumatisa très fort et il conçut
soudain l’idée de diviniser un thaumaturge galiléen dont il avait entendu parler,
et dont désormais, dit-il, il entendait la voix.
Et cela nous valut un nouveau,
un autre monothéisme. J’étais embêté, cela chamboulait la belle structure
élémentaire que mon peuple, grâce notamment à des Jérémie, des Isaïe, des Ezéchiel,
avait si pertinemment élaborée, avec lyrisme, certes, mais aussi une belle &
transparente conviction quant à mon unicité.
La nouvelle secte injecta des
concepts passablement opaques & indigestes du genre incarnation, rédemption, transsubstantiation, immaculée conception, résurrection, et j’en passe, Et
surtout le mono du monothéisme fut dangereusement ébranlé par la théorie tout à
fait biscornue des Trois Personnes, plagiée d’ailleurs sur la mythologie
grecque — et ils affublèrent cela du terme de Trinité ; à cette question
d’arithmétique théologique ils consacrèrent force traités, conciles & conciliabules,
avec des subtilités langagières toujours plus inextricables.
Je n’avais pas encore eu le
temps de vraiment digérer toutes ces complications, lorsqu’un beau jour quelque
part dans l’incandescence du désert un nomade illettré et dépressif se mit à
vaticiner et à élaborer à son tour une religion du Dieu unique.
Si la secte
nazaréno-paulinienne m’avait énervé, la secte médino-mecquoise m’a
exaspéré : déjà le monothéisme n’était pas si facile à gérer, avec ses
ardeurs, ses terreurs et sa combativité — mais là il fut imprégné d’une ferveur
nouvelle qui s’exprimait dans la vocifération, les discours d’exclusion et les
menaces de mort, et que je te maudisse, et que je te flagelle, et que je
t’ampute les mains, et que je te décapite…
Mais
voilà, je prends sur moi, jour après jour, je prends sur moi d’être, aussi, ce
Dieu-là — le Chef de la plus inutile des religions.mercredi 10 février 2016
FRAGMENTS DU JOURNAL INTIME DE DIEU - fragment 5226
Fragment 5226 — La
Résurrection, c’est peut-être le plus colossal des mythologèmes. Paul de Tarse,
l’a développé avec verve, on peut même dire que c’est son principal dada, et
presqu’obsessionnel ; il dit & répète dans toutes les variations
pensables que s’il n’y pas ça dans sa
doctrine, tout s’effondre. Ensuite c’est devenu le noyau dur d’une gigantesque
théologie, la spécificité même de cette religion qui va sévir pendant des
siècles. L’idée sera invariablement reprise, sur tous les tons, depuis les
chaires des cathédrales par évêques et chanoines jusque dans les derniers bleds
bretons, écossais ou frisons par d’humbles petits curés à peine lettrés.
A force de faire circuler
cette altière idée, on en oublie parfois l’origine, je veux dire l’auteur,
celui qui peut légitimement revendiquer d’avoir eu l’idée de cette idée.
Eh bien, c’est un ange. Cet
ange vêtu de blanc, assis dans le jardin à côté d’un tombeau vide, et qui dit à
quelques femmes effrayées, pour expliquer la disparition du cadavre, il dit, et
c’est là que le mot tombe, il dit, et c’est un mot que jusque là on n’avait
jamais entendu, il dit, et il n’y a rien de pareil ni dans Homère ni dans
Hésiode, il dit la parole inouïe, il dit : Il est ressuscité !
Et j’ai laissé faire, laissé
dire — du moment que ça ne grignotait pas sur mon statut à moi…
En ces siècles-là où les
humains avec les Démocrite, les Aristote, les Épicure, s’étaient mis en tête de
cogiter, de raisonner, de calculer, c’était soudain quelque chose de tout à
fait autre.
C’était quelque chose, comment
dire, de magnifiquement farfelu — et alors, pourquoi pas ?
mardi 9 février 2016
par les petites routes
peinture d'Anselm Kiefer |
elle
se maquille avec un soin spécial
et
même se parfume un peu
elle
vient enfin me voir
ça
lui fait un peu battre le cœur
elle
vient par les petites routes
ça
lui fait une sorte d’excursion
elle
a trouvé la bonne occasion
pour
venir enfin me voir:
je
suis au fond de mon cercueil
NOUVEAUX NEUVAINS, vol. IV
bon grain bon grammage
peinture de Pierre Aleschinski |
chapitre
LVI
1.
Tout là-haut dans le ciel passent les oies sauvages,
séquences éparses pour une fugue en mi mineur, notes échappées à Bach et que
Ligeti remettrait dans une portée, verdammt synkopisch, etwa für Blockflöte
& Pauke, mit Gryphius- & Traklsilben in der linken Hand.
2.
Bouche à bouche ils sont, Raphaël et la fille du
boulanger, elle se contorsionne un peu pour offrir sa vulve bellement poilue,
le peintre a gardé son chapeau à trois plumes, dans une main il tient le
pinceau, dans l’autre la palette, gravure de Picasso du 1er septembre
1968, de son sexe raide et bien couillu il commence à pénétrer sa muse.
3.
Dans une page de ses carnets en mars 1894, Henry James
aligne une centaine de noms propres à prévoir pour des personnages, Moro –
Snape – Gossage, il essaye des phonèmes, des réminiscences, des inventions, Mme
d’Ouvré (ou Ouvray) – Goldberg – Vandenberg – Vanderberg, faut s’éloigner du
clavecin, c’est une allusion trop pédante, Mme de Jaume ou Geaume – Mordan –
Gwither (ou Gwyther), le nom peut à la rigueur saborder le personnage, Luracalla
– Lucariello - Liracolli – Loriocelli – Vanderbank, etc., le nom à lui seul
déclenchera les péripéties, il y a des noms propres qui sont à eux seuls des
romans, qu’ils soient écrits ou pas. On imagine préoccupations comparables chez
Pirandello.
4.
Image de la pénétration — fascine autant qu’elle
mélancolise.
5.
(…) meine grundlose
Lautwerderei (Nora Wagener) — la tentative de traduction des sept syllabes
de ces deux mots allemands donne quelque chose comme : alors qu’il n’y avait aucune raison j’élève
très fort la voix. Génie de la langue allemande qui permet d’inventer des
mots nouveaux, proprement inouïs — et qui sont aussitôt compréhensibles. En allemand,
on ne forge pas des néologismes — on laisse faire la langue.
6.
Me fascine parce que je n’ai toujours pas bien compris
comment cela fonctionne au juste ; me mélancolise parce que ça me fait des
réminiscences trop explicites.
7.
L’abandon
est ce tremblement de terre que la bête du cœur devine avant qu’il arrive. — Christian
Bobin, Noireclaire, 2015
8.
Et elle
avait dit : For forty years I waited
for you under the lime tree…
9.
Quand je veux me faire du bien et me rasséréner un peu
je vais voir mon jeune cousin du Creusot, personne n’est plus accueillant que
lui, ça fait plus de trente ans qu’on se fréquente, je lui raconte comment ses
soixante livres, minces volumes rassemblés sur une planche, « Le huitième
jour », « La part manquante, « Lettres d’or », je lui
raconte comment tous ses livres ont brûlé, c’est le genre d’histoires insensées
que lui il comprend, je lui raconte comment il y a plus de trente ans, ma
femme, peu de temps avant de mourir, avait lu pour le ‘Téléphone de Poésie’
quelques pages dans « Lettres d’or », sur fond musical de la 82e
Cantate « Ich habe genug », la
mort chez lui est omniprésente mais ne compte pour rien, la mort est la mort d’un
moineau, la mort a une indicible couleur, un air de hautbois dans Bach, un
signe spécial de ponctuation, un voyage à Bratislava, un absentement dans l’absence,
un manquement dans le manque, une carence dans l’éloignement, message du destin
sans que le destinataire ne soit dit, je lui écris que quelques mots de cette lettre
me serviront à faire un poème, je lui écris que le brouillon de cette lettre je
l’inscris sur le blanc d’une page dans son dernier livre, bon grain, bon
grammage, au fond de la plus lourde tristesse il demeure encore un résidu de
jubilation.
10.
Épinglage de l’expression chagrin d’amour — puis aussitôt évoquer Akhmatova, en 1912, pour
faire diversion, aller à la recherche de son poème, et il y en a plusieurs, et
de sa lettre, et il y en a plusieurs, poèmes & lettres du chagrin, l’écharde
qui vibre, et larmes d’encre, atteindre encore
l’être aimé par l’encore de l’encre,
parole biaisée, ein Versprecher, en corps
de l’être aimé, est-ce qu’on en meurt, dis-moi si on en meurt, et elle rétorque :
mais qu’est-ce que tue en sais du suicide, au lieu d’écrire tu je viens d’écrire tue, ein Verschreiber, mécanique rebelle
de la plume, métal incompatible avec les bienséances, en corps en sexe, depuis des semaines & des mois je n’ai envie,
en vie, que d’écrire ça : le
vacarme que fait l’écharde quand elle remue & elle remue tout le temps.
LA LIASSE
DES DIX MILLE FRAGMENTS
droit dans les yeux
peinture d'Antonio Saura |
pendant
que scie la scie qui t’estropie
tu
assistes au spectacle, tu regardes
et
tu sens le sang couler
hébété
& bêtement incrédule
et
tu sens la scie scier
et
tu sens que c’est toi qu’elle scie
cela
ne devait jamais arriver mais ça arrive
le
destin te regarde droit dans les yeux
secoué
par un fou-rire
NOUVEAUX
NEUVAINS, vol. IV
lundi 8 février 2016
une espèce de sourire
peinture de Pierre Aleschinski |
la
mort ne vient pas, elle est là
reconnaissable
à mille menus indices
la
mort a une indicible couleur
la
mort est la mort d’un moineau
un
air de hautbois dans Bach
un
signe spécial de ponctuation
la
mort c’est un voyage à Prague
quelques
syllabes dans un poème de Carver
la
mort m'a fait une espèce de sourire
NOUVEAUX
NEUVAINS, vol IV
vendredi 5 février 2016
un ailleurs sans nom
peinture de Pierre Aleschinski |
chagrin
amertume volupté
espérance
deuil nostalgie
comment
soutirer encore
une
once de sens à ces mots
les
attacher aux pattes des oies sauvages
qu’ils
aillent dans un ailleurs sans nom
renoncer
à nommer, sauf pour faire
l’éloge
de l’épervier, de la renoncule
s’installer
pour de bon dans le mutisme
NOUVEAUX
NEUVAINS, vol. IV
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