Mains sur linceul - photo d'une sculpture, par Daniel Blaise, 2010 |
Il y a cette chemise, l’histoire de cette chemise blanche qui maintenant a un trou dans le dos, à la hauteur de l’omoplate gauche, je l’avais achetée pour une occasion spéciale, sans doute même solennelle, genre horrible mariage ou horrible enterrement, elle m’allait si bien, on aimait me voir dedans, on allait même jusqu’à me trouver beau, et on me le disait, passant outre ma native mocheté, les gens prenaient sur eux pour venir me dire, parfois de loin, venir me dire qu’ils me trouvaient beau, et maintenant il y a ce trou noir dans le dos, non pas un arrachement comme quand on se prend un clou dans le mur à un endroit où on ne s’y attendait pas, non pas une normale déchirure comme ça arrive quand les textiles font accident, non, un vrai trou, en fait un trou noir, une sorte d’obscène orifice liseré de noirceur, comme dans « Il était une fois dans l’ouest », pan pan pan, (alors que, à vrai dire, ce n’était que la braise de ma cigarette malencontreusement détachée et tombée sur la chemise dans la corbeille à linge), je veux dire, donc, une effraction, une violence, je veux dire que maintenant cette chemise qui avait été ma fierté, qui avait si avantageusement flatté mon narcissisme, qui m’avait, contre toute attente, attiré des regards indulgents, qui avait, par l’effet éblouissant de sa blancheur, su gommer sinon maquiller passagèrement ma native ugliness, cette chemise maintenant elle est fondamentalement amochée, je ne pourrai plus l’arborer, à moins que … à moins que, mais oui, soudain j’y pense, à moins que je ne la cache systématiquement sous un de mes gilets — et ainsi, mais oui, je pourrai continuer, sporadiquement, à échapper à ma native mocheté — et tout compte fait, je pense même qu’à l’occasion solennelle de mon enterrement, comme je serai couché sur le dos, on pourra m’enterrer avec, je serai beau.
dans: LE FRACAS DES NUAGES, à paraître au Castor Astral, mai 2012
Et bien voila effectivement une bonne idée...
RépondreSupprimerou alors - puisque j'ai quelque chose - de plus ordinaire, qui ne tend pas à me réhausser -
... cerner le trou en question de broderie, en faisant croire que c'est volontaire.
Bref rendre l'accident acceptable, "voulu"...
- comme un coup de pied au sort...
merci de vos commentaires René
Supprimerje réagis avec retard, parce que ça fait un moment que je n'ai plus ouvert mon blog
Vous n'êtes pas moche. Qu'importe la chemise pourvu qu'on ait l'ivresse : la beauté de votre texte et la beauté de cette sculpture.
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