Jean-Marie Biwer, Arbre 4, décembre 2010 |
Soir d'octobre où là-bas très loin très haut dans le ciel avance tremblant
l'angle aigu des oies sauvages au son, ici, sous mes solives, d'un blues de Tom
Waits. Monologue va se déclencher ici, maintenant, ce soir, cette nuit,
monologue d'octobre, lent coulis coloré de mots monotones, silence va suinter,
d'en bas, sourdre sournoisement, silence de la nuit. Couronne d'épines enserre
le gland du sexe, perles de sang.
Oberman essoufflé arpente les pentes de la Forêt Noire, le soir tombe,
la saison tombe, l'année tombe. Wer jetzt kein Haus hat... Seule tiédeur, la brouette de fumier fumant dans la
cour de la ferme, odeurs, vapeurs, l'âme tapie dans un coin de l'étable parmi
le remugle des mammifères. Cris d'assassinat dans la porcherie. Rassurante
douceur des excréments, relent d'enfance.
L'homme debout là-bas, sur la pente de la colline, dans le sentier des
sapins, pendant que passent les oies sauvages, l'homme là-bas, il ne s'effondre
pas. Malades les sapins, malades les collines, malades. L'homme debout là-bas
respire, continue à respirer. L'homme debout là-bas habite le paysage. Puis
plus rien ne bouge. Aucune feuille ne tombe. Le vent se calme, le vent arrête
d'être le vent. Une fourmi, à travers le sentier, transporte stoïquement une
géante aiguille. Plus rien ne bouge sauf la fourmi. Une fourmi, cette
fourmi-là. Les oies sauvages sont passées, le ciel est vide.
Oberman s'est transformé en
sapin. La Forêt Noire est noire. La saison est tombée. Sur le gland de Tom
Waits clignotent des gouttes de sang, vermeil rosaire. Un blues continue
rauquement à s'éparpiller sous les solives.
feuillet d'octobre 1996
à paraître dans "Le ressac du temps"
Le murmure du monde IV
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