LES STANCES DE NAROKI
PREMIER CHANT
un pied en Mésopotamie
héron cendré emblématique
et un clin d’œil à Zukovski
hail to thee my Kapellmeister
tu tapes sur le tronc du chêne
va-t-il te faire un violon
sonnera-t-il une chaconne
écoute-moi ces apostilles
volutes de la cigarette
la Camel ou bien la Maya
que je te damne ou te donne
ma dernière goutte de foutre
les vingt-quatre préludes & fugues
avec deux mains dûment gantées
une démence arithmétique
et un fredon tout lancinant
maintenant veuvage m’a pris
je vais m’appliquer à compter
les syllabes au bout de mes doigts
l’élégie de l’inconsolé
une mélancolie de veau
orgues de Staline répondent
mein Wams, sag mir, wo ist mein Wams
vers l’abattoir cela méandre
CHANT DEUXIEME
rudement ruer dans brancards
annuler rênes et licol
pour la chevauchée lunatique
raturer reine et alcôve
testicules de Novalis
distillent bleu toujours plus bleu
poussière dorée dans la nuit
comme autant d’étoiles pucelles
flaques noires où se pencher
miroirs qui ne reflètent rien
sinon ton ultime grimace
d’automate cadavérique
la fée trophée est vendue
pour rien dans de louches enchères
tu perds tout et gagnes le clou
qui te perce jusqu’au trognon
mais il y a les tutélaires
qui rappliquent de toutes parts
lançant leurs poétiques bourdes
tu ris tu pleures tout est bien
tant de beaux mots à dédorer
tant de gros mots à recycler
faut les placer dans la syntaxe
comme la pine dans le con
CHANT TROISIEME
dans le silence de la nuit
les habitants sommeillent et rêvent
une nuit comme toutes les nuits
malheur s’abat en dix secondes
les poutres craquent avec fracas
les murs et les plafonds s’effondrent
cauchemar total en pleine nuit
Amatrice non esiste più
devant décombres de Hambourg
devant feu infernal de Dresde
on compatit mais dit aussi
ihr habt ihn gewollt und gewählt
ma maison était mon abri
mon domicile sur la terre
j’y ai vécu pendant neuf ans
puis le Feu a tout dévasté
ni séisme ni Bombenkrieg
juste une étincelle, des flammes
la poutre ne m’a pas tué
en cendres quinze mille livres
juste pour dire : mieux que d’autres
j’imagine le cauchemar
dans ma cervelle je transporte
les métaphores de la perte
CHANT QUATRIEME
eux ils partent je continue
mes petits vers vont à huit pattes
au matin bonjour le soleil
ça se dit en quelques syllabes
« Per le strade della Vergine »
son journal de la soixantaine
il registre ceux qui sont morts
il marque les noms et les dates
merci de m’accueillir dit-elle
me fait cadeau de son sourire
belle femme qui s’aventure
dans l’antre du vieil ours, aiuto
la deuxième fois en trois jours
qu’elle vient sonner à ma porte
dans son sac : un Ceronetti
non devo innamorarmi
Ceronetti sexagénaire
sur la présence dans sa vie
de Giovanna si tard venue :
per aiutarmi a morire
une Italienne, aiuto
partant elle oublie son briquet
je me l’approprie aussitôt
il me fera petites flammes
CHANT CINQUIEME
ce don abandon éperdu
la luisante rosâtre faille
où je m’abîme corps & âme
senteur de varech et de mangue
la vive orchidée de chair
sur laquelle je vais poser
mon regard mes lèvres ma langue
je m’en délecte et abreuve
avec ma douce violence
profaner ton secret trésor
ce que toujours tu dois cacher
tu l’offres jubileusement
désenchevêtrer la broussaille
mettre à nu les vivaces crêtes
pour accéder à l’orifice
d’où suinte l’intime liqueur
sur la fleur vive tout éclose
j’exhale mon souffle tout chaud
sans autrement te toucher
et tu tressailles et frisonnes
j’habiterai pendant trois siècles
comme un prince miraculé
dans la chambre fleurie
de ton fabuleux con de fée
.
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