peinture Pierre Aleschinski
114.
Il y a… — il ne faut jamais commencer une phrase par il y a, et encore moins un alinéa ou un
chapitre, ça n’annonce rien de bon, par contre quand l’alinéa (ou le chapitre,
au cas où l’ouvrage est composé de chapitres) est déjà bien amorcé, on peut
mettre il y a, soit pour introduire
une phrase déclarative, soit pour lancer une énumération significative, il y a,
donc, il y a surtout cette constatation infiniment mélancolique (et alarmante
aussi) que les paroles dans leur ensemble sont essentiellement volatiles,
éphémères & sans poids, plus nombreuses que tous les grains de sable de
tous les Saharas imaginables, et par contraste le nombre moindre, mais tout de
même encore superlativement important, de toutes les paroles figées/fixées par
l’écriture, scripta manent, les
choses écrites demeurent, attachées, retenues, captées, ancrées, amarrées, par la
puissante magie des lettres de l’alphabet, ces deux douzaines de signes
élémentaires & prodigieusement efficaces, quand William S. Burroughs écrit,
le 28 juillet 1997, muré dans son cagibi à Lawrence (Kansas) que comparé
aux chats on est relativement immortel, c’est des paroles non volatiles,
puisqu’on les a, là, sous les yeux, paroles fixées, inamovibles, depuis vingt
ans & à jamais, il vivait à Lawrence (Kansas) seul avec ses chats, il n’y
avait plus que des chats dans sa vie, cinq jours plus tard, cinq jours après sa
phrase sur les chats, le 2 août 1997, il meurt.
PROSERIES
Le Murmure du monde, vol. VI
inédit
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