dessin de Ekşioğlu Gürbüz Doğan |
pour peu
qu’on fasse en soi un peu le vide, et remonteraient tant d’images visions
souvenirs, encapsulés dans des milliards d’alvéoles, c’est de la chimie, de la
physiologie, de l’électricité, de la mécanique, enfin, je m’exprime comme je
peux, je ne suis pas savant, et puis les savants ne savent pas ce que je sais,
je dis des choses que ne dirait jamais un savant, l’homme de science est
scrutateur & scrupuleux, il pèse & mesure, je ne suis que le dilettante
chroniqueur de mes obsessions, j’assume d’être myope, manchot & paralytique,
j’assume mes louvoiements de piroguier sur l’Orénoque, j’assume mes lallations
aussi narcissiques que pré-posthumes, et Gabrielle, lucide sur son métier, me
dit : je vends du vent, ça m’a
plu, puis passe juste sous la couche des cirrus un fragile avion jaune qui
pétarade en traînant un calicot la terre
est bleue comme une orange, quand ils eurent découvert le potassium pour
engraisser les champs de maïs ils abandonnèrent les processions à litanies
d’imploration, et les prêtres se claquemurent derrière les rideaux violets du
confessionnal et essayent vainement d’échapper aux obscènes visions qui leur
encombrent la soutane, au petit matin je résolus de faire des sortes de bilans
de lucidité sur toutes ces décennies où j’ai vécu, déclarai qu’il faudrait établir
des catalogues avec les milliards d’images-souvenirs, enfin, je veux
dire : tout ce qui sera définitivement abîmé quand je serai définitivement
abîmé, ce qui ne saurait tarder, le chemin de Samarkand, le chemin de Manosque,
le chemin de Tikal, et tant d’autres chemins à répertorier, milliers de
chemins, strade bianche & dust roads, à travers une réelle Toscane, à
travers un réel Western Cape, et la rhapsodie des courants maritimes, et les
hurlements des glaciers raclant le granit, les Chinois appelaient leurs
empereurs Fils du Ciel, émouvants fils de pute, et certains nuages dans le
crépuscule sont des dragons, derrière chaque arbuste guette un fantôme, il faut
égorger les fantômes par des contre-cauchemars, les chemins s’ensablent, les
pirogues chavirent, les pyramides s’effritent, d’un crayon jaune citron je
souligne une strophe qui me frappe, ta
main recueille / insoumise et pure / cent carillons de givre / dont je me vêts,
le chemin de Buonconvento, le chemin de Torremolinos, le chemin de
Chasteuil, chaque chemin a son alvéole, chaque image sa capsule, puis pour des
siècles & des millénaires ça se fossilise, chemins, chimie, inaudible
chuchotis
Inévitables bifurcations
chapitre 58
inédit
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