L.F. Bénouville, CoMmunion mystique de sainte Catherine de Sienne, vers 1840, Louvre |
Fragment 2831 — La mystique ne m’a jamais particulièrement
interpellé. Cela peut paraître paradoxal : n’est-ce pas le domaine dans
lequel ils m’ont témoigné la plus grande, la plus chaude ferveur ?
Justement. C’est ce qui m’indisposait. C’était trop. Trop chaud. Trop près.
La mystique rhénane, ça va encore, c’est dans une zone tempérée,
le Rhin, la Moselle. Un maître Eckhart opère avec des concepts abstraits,
éthérés ; il en invente même, dans sa belle langue allemande, pour s’avancer
dans mes inaccessibles parages.
Mais quand dans la chaude excessive Espagne ils filent une
extatique métaphore du Couple, pour faire de moi un Époux dans d’incandescentes
Noces, ça commence à devenir un peu trop invasif et m'embringue dans de louches emmêlements.
Le pire, c’est quand ça se met à dégouliner.
En Italie, chez Catherine de Sienne, par exemple : cela se
passe dans la deuxième moitié du XIVe siècle. Raymond de Capoue a tout décrit
en détail dans sa « Vita di Santa Catarina da Siena ».
Catherine un jour, dans un accès de ferveur spéciale et d’humilité
paroxystique, trouvant que son cœur était indigne, exprima dans sa prière le vœu
que ce cœur lui fût enlevé.
Jésus prit cela au pied de la lettre, fit la descente sur terre,
alla voir la nonne, lui délaça la chemise de nuit, prit à pleine main le sein gauche pour le soulever un peu, ouvrit
la poitrine et détacha le cœur. Et l’emporta.
Catherine, les jours suivants, vécut sans cœur, ça ne battait plus
dans sa poitrine. Puis un matin, à la chapelle, après l’office, alors que ses
consoeurs avaient déjà quitté les lieux, elle vit une intense lumière et Jésus
apparut devant elle, tenant dans ses mains un cœur luisant & vermeil. Il se
pencha sur Catherine, lui ouvrit de nouveau la poitrine et rebrancha
précautionneusement le cœur, en susurrant: C’est le mien — Hoc est cor meum, car Jésus avait appris à parler le latin.
Plus tard, selon le biographe, quelques consoeurs témoignèrent,
pour la postérité, qu’au bain elles avaient entraperçu la cicatrice sous le
sein gauche.
Mais ce n’est pas la seule dégoulinure dans la vie de Catherine de
Sienne.
Il y eut encore la scène où Jésus s’approcha d’elle si près,
chemise ouverte, qu’elle eut la bouche en face de la poitrine, à l’endroit où
la lance à Golgotha avait fait une profonde entaille, et ça continuait à
suinter. Le biographe écrit : Lorsqu’elle
comprit qu’elle devait boire au goulot de la fontaine de vie, elle posa ses
lèvres sur l’ineffable effusion et laissa couler dans sa gorge le mystérieux
breuvage.
Plusieurs peintres très pieux ont représenté la scène, notamment
Léon François Bénouville, vers 1840, tableau qu’on peut voir au Louvre.
On peut dire que c’est une sorte de fellation mystique,
télescopage entre la déglutition communiante eucharistique et la manducation deep throat d’une vidéo hard, bref, on l’aura
compris, là on est loin des abstractions métaphysiques dans lesquelles je me
sens à l’aise et qui sont mon domaine propre, je veux dire : pas
dégoulinant.