Fragment
2303 ― Quand dans le crépuscule sur
l’affreuse colline de Golgotha, le crucifié, exténué de souffrance, agonisant,
exhala son ultime plainte : Eli, Eli
lama sabachthani (mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné), le
silence que je fis en réponse à cette question n’a jamais été rompu.
Des milliers
et des millions de voix, par la suite, à travers les siècles, ont posé la même
question.
Du temps d’Auschwitz,
c’était devenu une rumeur qui fit vibrer, presque fissurer la voûte céleste
derrière laquelle je me tiens. Le bleu de mon ciel fut atrocement maculé par
une sorte de lait tout noir.
La
triomphante théologie du Dieu tout-puissant et infiniment bon en fut
passablement ébranlée, on se mit à jaser que, vu les événements, je ne pouvais
pas être à la fois tout-puissant et
infiniment bon ; mais il se trouva assez promptement des docteurs pour
amender et renouveler le discours sur Dieu.
Le
philosophe Hans Jonas dans son opuscule Le concept de Dieu après Auschwitz (1984) ― parmi beaucoup de raisonnements
tourmentés et un peu confus ― écrit cette phrase lumineuse : pendant
les années des ravages d’Auschwitz Dieu se tut (…) et n’intervint pas, non qu’il
ne voulût pas mais parce qu’il ne put pas.
Cela soulagea
considérablement mon malaise.
Et c’est
autour de cette idée que s’épanouit une théologie de l’indicible qui expliquait
que la grandeur de Dieu n’était pas sa grandeur, que la puissance de Dieu était
sa défaillance, et on évoquait que Dieu, pendant ces années-là, s’était
effondré en larmes, que Dieu s’était littéralement évanoui, muet et
cataleptique.
Doctrine de
la Ohnmacht Gottes : Dieu dans
les pommes ― et nous restons dans le champ
sémantique des métaphores bibliques, il y a déjà de la pomme au tout début de mon
Livre.
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