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Ambrogio Lorenzetti, fresque à Assise, vers 1320 |
DU REGARD DANS LA PEINTURE
C’est peut-être le premier regard dans la peinture occidentale.
Cela se passe vers 1320 à Assise, dans la basilique S. François.
Parmi les milliers et milliers de tableaux qui à travers l’histoire de
l’art, représentent la Vierge Marie et l’enfant Jésus, il en est un, unique en
peinture, à cause du regard entre la mère et l’enfant, regard d’une intensité
incomparable ; aucun peintre jusque-là n’avait fait cela, et après, je ne
pense pas qu’aucun peintre l’ait encore fait.
Le peintre, c’est Ambrogio Lorenzetti, né à Sienne vers 1290 et mort de
la peste noire à Sienne en 1348.
Il vient au bout d’une tradition déjà longue de la représentation de la
Vierge et de l’enfant : la séculaire peinture byzantine, puis les grands
peintres toscans de la fin du XIIIe siècle et du début du Trecento, surtout
Cimabue et Duccio di Buoninsegna.
Cimabue (1240, Florence – 1302, Florence) — Ses admirables madones
commencent à se libérer de l’hiératique tradition byzantine ; certaines
ont une grâce toute nouvelle, mais toutes ont le regard grand qui regarde
fixement le spectateur.
Puis, dans la génération suivante, c’est Duccio di Buoninsegna (vers
1260, Sienne – vers 1329, Sienne) — à partir de 1280 il peint des dizaines de Madones,
dont la fameuse « Maestà » (1308-1311), monumentale détrempe sur bois
(2,14 m x 4,12 m) pour la cathédrale de Sienne. Ses Madones au visage grave et
tendrement mélancolique tiennent dans leurs bras un bambin souvent espiègle –
mais toutes, comme celles du maître Cimabue, ont le regard fixe vers le
spectateur.
Ensuite, vers 1320, à Assise, se passe cette chose inouïe : la
Vierge détourne son regard du spectateur et le plonge littéralement dans le
regard de l’enfant – et l’enfant, tout aussi attentif, regarde intensément sa
mère, qui, la bouche entrouverte, est en train de lui faire comprendre quelque
chose d’une importance extrême.
On ne verra plus une scène pareille au cours des siècles.
dans LE FRACAS DES NUAGES, à paraître au Castor Astral, collection 'Curiosa & coetera