peinture Antonio Saura
chapitre 100
Je dois utiliser ma tête, pensais-je, aussi longtemps que je l’ai, puisque,
pensais-je, ça ne peut que se gâter, et bientôt je n’aurai plus assez de tête,
pensais-je, pour développer des pensées à propos de ma tête, maintenant il me
reste assez de tête, pensais-je, pour thématiser la dégénérescence de ma tête,
et arrivera sans doute bientôt le jour où je serai encore capable de formuler
le mot tête mais sans me rendre
compte que c’est de ma tête qu’il est question, je dirai tête en n’étant plus
en mesure de parler de ma tête, je dirai tête sans avoir ma tête, et je dirai
queue, et encore d’autres mots indécents sans me rendre compte combien ils sont
indécents, j’émettrai les phonèmes bite
& con, jouissant en catimini de les émettre, et je les répéterai,
compulsivement, ô bite où ai-je ma tête, ô tête où ai-je ma bite, et on me dira
de me taire, such a dirty old fool, ils
ne se souviennent pas du temps où j’avais ma tête, j’avais une tête si active,
toute pleine de mots, des hirondelles et des roseaux et des vallons et des
rivières, je dois tester ma tête, pensais-je, examiner si les mots ont encore
leur sens, et j’exulte quand passe l’hirondelle, quand coule la rivière, et je
fredonne allègrement que je ne suis pas encore décapité.
PROSERIES
chapitre 100
inédit
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