jeudi 22 janvier 2015

picorer la poussière...

Hermanus Bay - photo L. Sch.



Permanent lancinant sentiment d’irréalité, comme si à chaque instant pouvait se déchirer la très fine membrane qui me sépare, me protège de la démence, tout ce qui autour de moi paraît si matériel, si réel, si solide, l’océan qui roule ses vagues autant que le gracieux oiseau au bec long et fin qui à deux pas de moi sautille en pépiant, gracile fragile facétieuse attendrissante créature, tout cela est si indiciblement dément, et le couple assis là-bas sur le muret devant le waterfront, la jeune femme a gracieusement posé sa main sur l’épaule de son compagnon, ils se taisent, ils regardent la mer, et une mouette plane, et trois tout à fait communs moineaux picorent nonchalamment et inutilement dans les interstices du pavé où il n’y a vraiment que de la poussière, mais qu’est-ce qu’ils cherchent mais qu’est-ce qu’ils cherchent, et moi dans quelles poussières est-ce que je picore inutilement, l’air humide sent si bon la mer, je suis plus vivant que mort, je dis avec des syllabes qui ne disent rien ce lancinant sentiment d’irréalité, juste avant que crève la membrane qui me protège.
Le murmure du monde, vol. VII

1 commentaire:

  1. J'ai un plaisir immense à te lire. C'est superbe. Je me sens tout con, d'habitude j'essaie de dire quelque chose, de commenter pour de vrai, mais là "juste avant que crève la membrane qui me protège."... Ah! si, ça y ait je retrouve un peu mes esprits.

    Et toi mon cœur pourquoi bats-tu ?
    Comme un guetteur mélancolique
    J’observe la nuit et la mort
    Guillaume Apollinaire

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