samedi 31 mars 2018
jeudi 29 mars 2018
CAHIER HEMA NOIR - chapitre 57
Piet Mondrian, Arbre argenté, 1911 |
57.
Ils ont une frénésie du livre, mais qui n’est pas
vraiment frénétique, c’est qu’il n’y a qu’un seul livre, alors que leur livre c’est
des dizaines de livres, mais ils ne s’en rendent pas compte, ils ont leur stand
au Salon du livre, obtenu par on ne sait quelles manigances, ils ont dû dire :
Nous c’est le livre, et dans les officines on ne comprenait pas, leur stand est
pathétique, il est vide, au milieu un socle et sur le socle : un livre,
les badauds distraits & désorientés qui passent sont hélés jovialement et
invités à venir voir le livre, le livre des livres, et à oublier tous les
livres en cet endroit où il y a des millions de livres, je m’entretiens avec un
des héleurs, un jeune homme impec, veston impec, chemise impec, boutons de
manchette impecs, cravate impec, et sûrement aussi slip impec, Calvin Klein ou Armani,
comment savoir, pour abriter une bite impec, une bite religieuse que le jeune
homme gère impeccablement, alors que la plupart des hommes, on le sait, n’arrivent
pas vraiment à gérer leur bite, tout le livre, dit le jeune homme, et tant de
gens ne le savent pas, tout le livre est parole de Dieu, je rétorque, je le
connais, ton livre, je l’ai lu ton livre, c’est des dizaines de livres, ton
livre, avec des dizaines d’auteurs, le livre que je préfère dans ton livre, c’est
Qohélet, un vieux scribe amer, cynique et mélancolique, qui n’a vraiment rien
de divin, puis je tire de la poche de mon veston un opuscule que j’ouvre au
milieu, je dis : c’est Tchouang Tseu, écoute : La vie est comme un poulain blanc qui franchit une faille — un éclair
et c’est fini.
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mercredi 28 mars 2018
CAHIER HEMA NOIR - chapitre 56
photo L. Sch.
56.
Les
touches blanches, enfin, pas tout à fait blanches du piano, pas blanches comme
est blanche la neige, mais un peu blanc cassé, ou ivoire (faux ivoire), mais
blanches quand même par contraste radical avec le noir des touches noires,
comme c’est le cas pour quatre-vingt-dix-huit pour cent des pianos, sauf
quelques hammerklaviere que j’ai vus, du XVIIIe siècle, facture spéciale, à
Anvers ou Dresde, où c’était l’inverse, les noires étaient claires, sinon
blanches, et les blanches étaient marron foncé sinon noires, ça dépendait du
bois choisi pour les lamelles, les touches blanches de mon piano Kühne qui se
trouvait dans la pièce dite du piano au rez-de-chaussée de ma maison, les
touches blanches n’étaient plus blanches, ni même blanc cassé, ou ivoire, faux
ivoire, les touches blanches de mon piano étaient noires, noires comme les
touches noires, ce piano sur lequel j’avais depuis l’adolescence fait du
Clementi, du Kuhnau, du Czerny, un peu de Schubert, la sonate dite facile de
Mozart, la Barcarolle de Mendelssohn, le premier mouvement de la Clair de Lune,
je le faisais bien, assez bien, je pense, ce premier mouvement de la Claire de
Lune, presque pas Bach, Bach m’intimidait, sauf le premier prélude du
Bien-Tempéré, toutes les touches de mon piano, les noires & les blanches
étaient noires, et gondolaient, n’étaient plus vraiment dans le rang, les
touches de mon piano Kühne, fabriqué à Dresde, n’étaient plus vraiment
jouables, parce que mon piano avait brûlé.
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