samedi 16 janvier 2016

Fragments du journal intime de Dieu




Fragment 921 — C’est eux qui ont forgé la tournure le doigt de Dieu ; en fait c’est mon index tel qu’on le voit sur une fresque dans la voûte de la Sixtine.
Quelque chose sur terre arrive, grand événement ou menu incident, qu’importe, et on les entend dire : c’est le doigt de Dieu.
Je les laisse dire — dans l’ignorance où ils semblent être, aussi naïve que surprenante, de ma foncière immuabilité métaphysique : on le sait bien pourtant, au moins depuis Parménide, que la perfection c’est l’immobilité et non la bougeotte — et cela implique forcément un engourdissement sinon une atonie physique, une motricité nulle quant à mes membres, et donc mes mains et donc mes doigts et donc mon doigt.
Parmi les millions d’occasions où ils ont dit : c’est le doigt de Dieu, il y a celle de Pascal, en hiver 1654, quand sur le pont de Neuilly les quatre chevaux de sa voiture basculent dans la Seine et que l’attelage se rompt, ce qui fait de justesse échapper le philosophe à la noyade.
Pendant près de deux semaines, traumatisé corps & âme, il tombe dans une noire inconscience et quand il finit par revenir à lui, il s’écrie : c’était le doigt de Dieu — et il passe le reste de sa vie à faire mon apologie.
Cela me fait sourire en cachette : voilà une des plus brillantes publicités qu’on m’ait jamais faite, sans que j’aie eu à remuer le petit doigt.



Fragment 922 — Le jour où Montaigne a son dramatique et presque mortel accident de cheval, il n’y voit pas le doigt de Dieu — et n’a donc pas à se convertir. Loupé pour moi.



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