dimanche 24 janvier 2016

dans un sublime rut

peinture de Pierre Aleschinski




chapitre LI

 

1.

Onze timides bulbes de muscari dans un pot de grès gris sur le bord de ma table — et pâles clochettes tintent muettement leur bleuité d’hiver.

 2.

Mouchette d’un millimètre et demi marche en zigzaguant sur la page soixante-trois d’un livre de Jacques Izoard.

 3.

Henri Dutilleux sur une photo de Wolfgang Osterheld, assis bras croisés, regard au loin, devant son piano, col blanc de sa chemise grand ouvert, je me souviens de son concerto pour violoncelle, c’est le centenaire de sa naissance, image que j’envoie dans le petit matin à Bruxelles chez mon ami Lucien Noullez.

 4.

Sur la terrasse, en automne, j’avais laissé quelques vases et cache-pots, les pluies au fil des semaines les ont remplis d’eau, puis le gel d’hiver est venu et un à un les vases et les cache-pots ont éclaté.

 5.

David Bowie chante « China Girl » et fait l’amour avec elle sur l’estran humide d’une plage sans nom, leurs langues s’emmêlent comme deux escargots dans un sublime rut.

 6.

Un colis arrive. Shakespeare. Deux mille deux cents pages.

 7.

Les longues feuilles de l’amaryllis flétrie, je les coupe et sors le bulbe du terreau ; il dormira quelques mois, tout nu, enveloppé dans du papier journal.

 8.

En dix lignes je raconte la vie du poète tchèque Jan Zahradníček mort en 1960 et que personne ici ne connaît — son regard à travers les épaisses lunettes me sidère.

 9.

Pour la dixième fois je fais une note sur la rouge robe qu’elle avait portée ce jour d’été-là.


10.

Dans la pénombre de la cave, à 8 degrés, les majestueuses agapanthes entrent lentement en flétrissure d’hibernation.

 

 LA LIASSE DES DIX MILLE FRAGMENTS   





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