Parfois, en plein traçage d’un mot, au milieu du mot,
avant de passer d’une lettre à l’autre, j’hésite, m’interromps, pendant une
infime fraction d’instant, moins sans doute qu’un dixième de seconde, dans l’homogène
flux du geste de tracer, je marque un arrêt, un imperceptible indécelable arrêt,
de l’extérieur un observateur ne s’en rendrait pas compte, sauf peut-être le Créateur
qui sait & voit tout, et encore, pas sûr, tellement c’est infime, je ne
sais pas à quel point et jusqu’où lui il est capable de scinder le temps, jusqu’aux
plus infimes atomes du temps, jusqu’au cœur le plus nano du nano, j’aimerais
comprendre ce phénomène d’achoppement, en dehors de l’hypothèse tout à fait
plausible qu’il puisse y avoir une raison extérieure, adventice, mécanique, ma
plume qui glisse sur le lisse de la page se heurterait à une improbable
imprévisible imperceptible aspérité de la surface du papier, ou, au contraire,
l’achoppement serait déclenché au-dedans de mon psychisme, brisure de l’élan,
hésitation orthographique, scrupule d’être pris en flagrant délit de malhabileté,
escamoter une lettre ou même seulement un jambage, après, sur la page écrite,
aucun graphologue, quel que puisse être son génie, ne détecterait la faille,
cela se passe pendant que j’écris une page où il est question de mon père, ma
plume trace & trace, mot après mot, je ne réfléchis même pas, les mots
viennent tout seuls, puis soudain cet achoppement.
PROSERIES
chapitre 112
Le Murmure du monde, vol. VIII
inédit
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