dimanche 30 août 2015

Quand Dieu exauce les prières...

saint Hilaire de Poitiers


Une anecdote religieuse (‘édifiante’, diraient les croyants) insérée dans les « Essais » I, XXXIII,  je dirais : fourvoyée ; la voici résumée (en italique les mots de Montaigne, que lui-même prend sans doute en grande partie dans le livre où il vient de la lire : « Annales d’Aquitaine » de Jean Bouchet).

Saint Hilaire, Père et docteur de l’Église, évêque de Poitiers, au IVe siècle, était en voyage en Syrie quand il apprit que sa fille unique Abra avait été demandée en mariage par un Seigneur du pays. Aussitôt il écrivit à sa fille de renoncer aux plaisirs et avantages qu’on lui présentait, et qu’il avait trouvé pour elle un parti bien plus grand et plus digne : un mari de bien autre pouvoir et magnificence, qui lui ferait présent de robes et de joyaux de prix inestimables.  Le dessein du saint évêque était de faire perdre à sa fille le goût et usage des plaisirs mondains, pour la  joindre toute à Dieu ; mais à cela le plus court et plus certain moyen lui semblant être la mort de sa fille, il ne cessa, par vœux, prières et oraisons de faire requête à Dieu de l’ôter de ce monde et de l’appeler à soi.

Et c’est ainsi que cela se passa. Car bientôt après son retour, elle lui mourut, de quoi il montra une singulière joie.

La femme de saint Hilaire, apprenant que la mort de leur fille était due au dessein et volonté du père, en conçut une si vive attirance de la béatitude éternelle et céleste, qu’elle sollicita son mari avec une extrême instance d’en faire autant pour elle. Et, Dieu à leurs prières communes l’ayant retirée à soi bientôt après, ce fut une mort embrassée avec singulier contentement commun.

Anecdote, donc, édifiante qui invite à l’imitation.

Et toute l’horreur de la religion.

Difficile de comprendre pourquoi Montaigne nous met ça dans son livre, et surtout : sans aucun commentaire.

Que n’a-t-il senti derrière cette lamentable histoire, en filigrane, l’hystérique & brutale injonction de Jésus qui nous demande de quitter père et mère et femme et enfant, pour le rejoindre, lui, au Royaume des Cieux (voir Marc, 10, 29 et Matthieu 19) ?


Tu aurais dû dire, Michel, avec le franc parler qu'on te connaît : Perverse & maléfique religion.


FRAGMENTS SUR LES ESSAIS
Montaigne dans le texte


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2 commentaires:

  1. Horrible histoire. Horrible souvenir pour moi aussi.
    Mais ne vois pas le rapport entre le voeu de mort pervers d'un père pour sa fille ou sa femme et sa religion qui l'est tout autant et le "tu quitteras ton père et ta mère", qu'on peut aussi lire comme le début d'une individuation, le soi sujet en devenir, quand on le débarrasse de ses fioritures et morales religieuses. Eye asher eye. Je suis qui je serai, c'est ainsi que dieu se présente à Moïse dans le premier testament quand il lui demande qui est la voix du buisson ardent. Si le Royaume de Dieu débarrassé de son fatras d'analyses historico-critiques n'était que le lieu d'un sujet libéré et le péché, simplement la peur que tout homme éprouve, alors on peut lire le texte de la bible comme un récit de libération individuelle, de quoi faire la nique à toutes les religions. Tout est dans la définition de dieu qu'on se fait. Pour ceux qui ont besoin d'une définition.

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  2. merci, chère Christine, pour ce commentaire sensible et subtile. Si votre compréhension de Dieu vous permet de faire la nique à toutes les religions, y compris la judéo-chrétienne, je suis preneur, mais j’ai bien peur que votre façon de voir, si admirable soit-elle, ne soit marginale et archi-minoritaire
    Un regard autour de moi et vers les siècles passés ne me fait guère voir des religions qui auraient été libératrices de l’individu, au contraire

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