dimanche 29 janvier 2017

moriendo - PROSERIES, chap. 103

peinture Pierre Aleschinski


chapitre 103

Puis sortir ce mouchoir, vieille écharpe népalaise en soie noire qui sent le slivovice, combien de larmes y ai-je mises, peux pas dire, monumentale musique de cirque, cent quatre-vingt musiciens en livrée, trois grosses caisses à l’unisson mettent soudain fin à la déchirante plainte de l’alto, guirlande coupée par une hache, Schnittke avant de mourir, tous mes disques de Schnittke, trente ou quarante, ne sais plus, sont partis dans une épouvantable puanteur chimique, pendant un interminable point d’orgue des cordes le clavecin scande lancinamment avec d’innombrables tierces discordantes, puis après l’abîme du silence final, le magnifique visage de Yuri Bashmet tout dégoulinant de sueur, ultime note monocorde prolongée sur plusieurs mesures, Bashmet finit par sourire, longtemps après l’abîme du silence final, il finit par sourire, Schnittke mort depuis vingt ans, la vieille écharpe noire qui sent le slivovice, je l’avais déjà de son vivant, quand j’ai découvert, tard, sa musique, il était en train de mourir, pendant qu’il mourait j’écoutais la « Suite Gogol », poignante déchireuse musique de cirque, pleurer sur le mouchoir-écharpe, valse hilare & désespérée, rachat par les larmes, clown beckettien tape sur un Bösendorfer noir funèbre, irons dans le trou sur un air à trois temps, andante poco mosso & assolutamente moriendo.


PROSERIES
chap. 103
inédit





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