peinture Pierre Aleschinski
104.
Tout le temps je voulais
commencer des phrases par il y a un tel…
il y a une telle…, pour dire des choses comme : il y a un tel étonnement,
il y a une telle stupeur, et ce n’est pas l’étonnement dont parle Aristote, cet
étonnement utile & serein, et qui sert la curiosité, et qui fait avancer l’examen
et l’étude, et donc la connaissance, that’s not what I want to talk about, il y
a un étonnement à voir, soudain, sur cette table, à côté du cendrier, dans un
pot en fer blanc colorié de bleu cette jacinthe qui depuis quelques jours
répandait son parfum capiteux & indiscret, à la limite de la puanteur, il y
a une stupeur à considérer cette jacinthe qui est soudain là, alors qu’elle était
là depuis des jours, jacinthe blanche qui commence à brunir & pourrir dans
son pot de fer blanc, mais ce sentiment subjectif du soudain c’est de l’ontologie à l’état pur, brut & brutal, et
aussitôt un flash de vertige, pendant une fraction de seconde l’abîme inouï
& stupéfiant du temps, et tout au fond de ce tourbillon qui aspire si
violemment, tout au fond du fond coïncident l’être & le néant, et le néant
gobe l’être, l’être se soustrait à lui-même, l’être se neutralise & se
dissout, dans le grand tout rien n’a jamais été, et sur cette table la jacinthe
dans son pot de fer blanc n’est que l’emblème visible & crucial de l’intuition
dévastatrice : il n’y a rien rien rien.
PROSERIES
chapitre 104
inédit
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