lundi 30 janvier 2017

l'emblème - PROSERIES, chap. 104

peinture Pierre Aleschinski



104.

Tout le temps je voulais commencer des phrases par il y a un tel… il y a une telle…, pour dire des choses comme : il y a un tel étonnement, il y a une telle stupeur, et ce n’est pas l’étonnement dont parle Aristote, cet étonnement utile & serein, et qui sert la curiosité, et qui fait avancer l’examen et l’étude, et donc la connaissance, that’s not what I want to talk about, il y a un étonnement à voir, soudain, sur cette table, à côté du cendrier, dans un pot en fer blanc colorié de bleu cette jacinthe qui depuis quelques jours répandait son parfum capiteux & indiscret, à la limite de la puanteur, il y a une stupeur à considérer cette jacinthe qui est soudain là, alors qu’elle était là depuis des jours, jacinthe blanche qui commence à brunir & pourrir dans son pot de fer blanc, mais ce sentiment subjectif du soudain c’est de l’ontologie à l’état pur, brut & brutal, et aussitôt un flash de vertige, pendant une fraction de seconde l’abîme inouï & stupéfiant du temps, et tout au fond de ce tourbillon qui aspire si violemment, tout au fond du fond coïncident l’être & le néant, et le néant gobe l’être, l’être se soustrait à lui-même, l’être se neutralise & se dissout, dans le grand tout rien n’a jamais été, et sur cette table la jacinthe dans son pot de fer blanc n’est que l’emblème visible & crucial de l’intuition dévastatrice : il n’y a rien rien rien.


PROSERIES
chapitre 104
inédit





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