samedi 29 octobre 2016

colchique d'automne

dessin Antonio Saura




tu es le colchique d’automne
qui a contaminé mon cœur

l’éponge de vinaigre
qui a magnifié ma soif

la flèche de feu
qui a crevé mon regard

la potion fatale
qui a miraculé mon existence

tu m’anéantis & je jubile de vivre





NOUVEAUX NEUVAINS
vol. 5

inédit



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mardi 25 octobre 2016

Fragments du journal intime de Dieu - fragment 8521




Fragment 8521 Quant au fruit dans les entrailles de Marie, depuis l’assomption de cette dernière dans mes parages, on n’a jamais, confidentiellement, parlé de ça, alors que, nous côtoyant tous les jours, nous en aurions eu maintes fois l’occasion. Mais la question continue à me turlupiner.
Comment était-ce pour elle ? Je veux dire, au moment où ça s’est fait, je veux dire, où je le lui ai fait: est-ce qu’elle a, comme femme, senti quelque chose ? Parce que c’était quand même, en quelque sorte, une pénétration, ou disons : un envahissement, une intrusion.

Si je me suis toujours retenu de lui poser la question, c’est peut-être parce que j’aurais été un peu embarrassé d’avouer que moi, de mon côté, je n’ai rien senti.



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Autre liasse, chap. 12

peinture Pierre Aleschinski



chapitre 12


1.
Cris dans le ciel noir de la nuit, passent d’invisibles oies sauvages. Ô la note que Sei Shônagon aurait faite, je la vois penchée sur sa feuille pendant que je me penche sur ma feuille.

2.
Such a nasty woman, avait-il dit dans le deuxième débat présidentiel. La sénatrice démocrate du Massachusetts, Elisabeth Warren, vient de lui répondre dans un meeting à New Hampshire : He thinks that because he has a mouth full of Tic Tacs that he can force himself on any woman within groping distance (…) Nasty women are tough. Nasty women are smart. And nasty women vote. We nasty women are going to march our nasty feet to cast our nasty votes to get you out of our lives forever.

3.
Je sors du rêve, quitte le rêve, tombe du rêve — et bénis bénis le rêve, qui m’apprend que mon fils est mort, de n’être qu’un rêve.

4.
Toi, ma chérie, qui nuit après nuit dors à côté de ton mari, tu es plus seule que moi qui, nuit après nuit, dors seul. Ton éloignement n’est pas vraiment absence : tu m’accompagnes. Et je t’écris, sans cesse je t’écris. — Leonid Torganov, « Correspondance 1859-1916 », en 3 volumes, vol. III « Lettres non envoyées », Odessa, 1927, p. 513

5.
Caton, la nuit, rapporte Montaigne, en laquelle il devait mourir, suicidé, il la passa à lire.

6.
That shit will not happen : he’s fallen into the asshole he is…

7.
Concord, 1836 — Emerson, au moment de payer son loyer est de bonne humeur : il se dit que cela lui procure aussi le ciel et la forêt sans que cela lui coûte. Et pour le crépuscule non plus, et le soir, et la nuit, il ne doit pas de redevance.

8.
Quand le sujet dit : ‘Je suis triste’, il n’a encore rien dit. Le clinicien aura à examiner si le patient est mauvaisement triste, puisqu’il y a aussi des tristesses qui ne sont pas mauvaises. Et donc pas maladives. Ces tristesses-là, on les classera hors pathologie.

On connaît des sujets tristes, éminents et éminemment tristes, comme Montaigne et Spinoza : or, ils géraient leur tristesse de telle manière qu’ils pouvaient dire à tout moment : ‘Je ne suis pas triste’. — Leonid Krankov, « Etudes cliniques sur les sentiments de base », VIIe chapitre,  Saint-Pétersbourg, 1909, p. 408

9.
Montaigne, en vingt ans d’écriture permanente, avait le temps et le loisir d’écrire plusieurs livres — et c’est d’ailleurs ce qu’il a fait, sauf qu’il les a tous mis, intercalés & enchevêtrés, dans un seul.

10.
A entendre la nuit les oies sauvages dans le ciel crier, je me laisse euphoriquement choir dans la mélancolie. Et pense à l’amour perdu. Je suis triste, mais pas mauvaisement.



AUTRE LIASSE
Le Murmure du monde, volume VIII


inédit



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lundi 24 octobre 2016

Fragments du journal intime de Dieu - fragment 2013





Fragment 2013 La maléfique engeance des théologiens n’aura jamais fini de me surprendre et de m’agacer. Sans cesse ils s’en prennent à moi et à mon intégrité.
En me faisant engrosser Marie, la vierge, ils ont grossièrement sabordé mon universalité : la transcendance est mâle, l’infini est sexué.
Et les femmes ne sont bonnes que pour le coït.

Et les femmes ont bien intériorisé cela, même les moins femelles qu’on puisse imaginer : du côté de la plus sublime mystique, ce qu’elles demandent à Dieu, c’est l’orgasme.



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chien & loup

peinture Antonio Saura



passe entre chien et loup
l’éteigneur de réverbères

dans ses vieilles bottes vermeilles
avec sa clé à extinction

il a toujours claudiqué
il a toujours été manchot

personne ne voit la grosse larme salée
qui lui dégouline le long du nez

ce soir il tue et le chien et le loup




MILLIARDS DE MANIERES DE MOURIR
99 neuvains
éditions phi, coll. graphiti
à paraître



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dimanche 23 octobre 2016

je suis fauché

Jean-Marie BIWER, Wooden Sketchbook, 2014





je suis fauché, dit le brin d’herbe
j’ai encore échappé à la noyade, dit le nénuphar

sur ma tige, comme le tournesol, dit la cigogne
le tournis est mon destin, dit la meule

évitons la précipitation, dit le nuage
alouette muette je gazouille, dit le cerf-volant

ne serai jamais comestible, dit le parasol
ne te promets aucun paradis, dit le parapluie

c’est fini les poèmes d’amour, dit le troubadour


*


alles Sense, sagt der Strohhalm
abermals dem Ersaufen entronnen, sagt die Seerose

auf meinem Stiel, wie die Sonnenblume, sagt der Storch
alles wird mir dauernd verdreht, sagt der Mühlstein

lass dich jetzt nicht niederschlagen, sagt die Wolke
wie lahme Lerche mein Gezwitscher, sagt der Drache

werde nie genießbar sein, sagt der rote Sonnenschirm
verspreche keinerlei Paradies, sagt der rote Regenschirm

endlich Schluss mit den Liebesliedern, sagt der tote Minnesänger



MILLIARDS DE MANIERES DE MOURIR
99 neuvains
éditions phi, coll. graphiti
à paraître bientôt



samedi 22 octobre 2016

syllabes d'amour

Jean- Marie BIWER, journée ventée & pluvieuse, détrempe sur bois, 2011



incongrue tardive trémière éclose 
tout en bas de la tige pourrie

 auréole en fer-blanc
sur le crâne du saint voyou

 danse rituelle à talons tapants 
au plus obscur de la fourmilière 

remembrance du plus doux des vagins 
où déposer syllabes d’amour 

et l’aurore dans son mauve le plus mauve




MILLIARDS DE MANIERES DE MOURIR
99 neuvains
éditions phi, collection graphiti
en train de paraître




vendredi 21 octobre 2016

éloge de septembre

Jean-Marie BIWER, Arbres en automne, 2006, 160 x 120 cm, coll. part.



pendant que la nuit aux branches se pend 
et la lune sur de raides pentes glisse 

pendant que le dernier tournesol blasphème 
et la musaraigne dans l’ornière trébuche

 pendant que le vignoble s’ensanglante 
et la tourterelle krokote au lieu de roucouler

pendant que la violette dans le pavé agonise 
et la mouche moche dans la lie du rosé se noie 

je griffonne gaiement mon éloge de septembre



MILLARDS DE MANIÈRES DE MOURIR
99 neuvains
éditions phi, coll. graphiti
à paraître



mardi 18 octobre 2016

Autre liasse, chap. 11

Giorgione, Vénus endormie, détail , 1510



chapitre 11

1.
Si je rêve d’elle, me suis-je dit, c’est (du moins statistiquement) plausible qu’elle rêve aussi de moi. Je ferais une furtive apparition nocturne. Dans son âme. Dans son lit. Dans sa vie. Et elle ne raconterait, évidemment, son rêve à personne. Et je me dis que même après ma mort, il se pourrait que je fasse une apparition dans l’un ou l’autre de ses rêves, puisque les rêves ne connaissent point ce genre de frontière. Spéculations qui me mélancolisent très fort.

2.
Dieu, qui peut tout faire, aurait pu, pour les couvrir, leur mettre des écailles, des plumes ou de la fourrure. Or, il n’a rien fait. Etait-il à court d’idées après la fabrication du brochet, de l’autruche et de l’ours ? Toujours est-il que l’homme et la femme, il ne les a pas couverts. Et c’est ainsi, que par défaillance, par défaut, sinon par manque d’imagination ou tarissement de la créativité, Dieu est devenu, sans doute malgré lui, le génial & divin inventeur de la nudité : Dieu a inventé la peau, Dieu a inventé la caresse.

3.
Dresde, juin 1942 — Alors qu’à l’est, en Pologne, Lituanie, Lettonie, Biélorussie, Ukraine, les juifs ont été liquidés par centaines de milliers, des mesures de plus en plus restrictives sont promulguées contre ceux d’entre eux qui vivent encore dans le Reich : interdit d’être dehors après 21 h, interdits la radio et le téléphone, interdits le théâtre, le cinéma, le concert, le musée, interdits les journaux et les magazines, interdit l’autobus, interdit l’achat de tabac, de fleurs, de lait, confiscation des machines à écrire, des fourrures, des couvertures en laine, interdiction d’avoir un chien, un chat, un oiseau, interdiction d’entrer dans une gare, dans un parc, interdiction d’avoir des provisions de nourriture à la maison, interdiction d’emprunter des livres dans une bibliothèque, interdiction d’entrer dans un restaurant.

4.
Paris, 7 juin 1942 — Ernst Jünger, dans la rue Royale, voit pour la première fois l’étoile jaune, portée par trois jeunes passantes. Le soir, il note dans son journal : So genierte es mich sogleich, dass ich in Uniform war [Cela me gêna aussitôt d’être en uniforme].

5.
C’est en voyant une femme en nuisette dans le film muet « Dr Jekyll and Mr Hyde » (Mamoulian, 1930) que le cinéaste Tinto Brass, à douze ans, eut sa première éjaculation.

6.
Le pape Innocent III, en 1215 au IVe concile du Latran, publia un décret qui contraignait les juifs de s’habiller de manière à se faire repérer parmi la population.
En France, le roi Louis IX (saint Louis) ordonne en 1269 aux juifs le port de deux insignes jaunes, l’un sur le dos, l’autre sur la poitrine, pour les garçons de plus de 14 ans et pour les filles à partir de 12 ans.

7.
Kafka, dans son journal, le 1er juin 1912 : Nichts geschrieben.

8.
Tinto Brass, dans « La Chiave » (1983) fait encore & encore voir le cul nu de Stefania Sandrelli, robe retroussée, culotte baissée, dans la pénombre de la nuit autant que dans la pleine lumière du jour, et aussi à plusieurs reprises les poils et la fente. Gamin qui se fait du cinoche.

9.
Puis soudain j’ai pensé que la phrase Je pense à toi est une phrase inouïe. Puisque c’est une phrase qui reste valable encore après la mort. Puisque cette pensée-là, en quelque sorte, ne s’éteint pas. Pas si vite.

10.
Corollaire à inévitables bifurcations : permanentes interférences.



AUTRE LIASSE
Le Murmure du monde, volume VIII

inédit



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jeudi 13 octobre 2016

encore un éloge de Dieu

Maerten van Heemskerck, Adam & Eve, vers 1530



Dieu, qui peut tout faire, aurait pu, pour les couvrir, leur mettre des écailles, des plumes ou de la fourrure. Or, il n’a rien fait. Etait-il à court d’idées après la fabrication du brochet, de l’autruche et de l’ours ? Toujours est-il que l’homme et la femme, il ne les a pas couverts. Et c’est ainsi que, par défaillance, par défaut, sinon par manque d’imagination ou tarissement de la créativité, Dieu est devenu, sans doute malgré lui, le génial & divin inventeur de la nudité : Dieu a inventé la peau, Dieu a inventé la caresse. 



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samedi 8 octobre 2016

PROSERIES, chap. 93

dessin Pierre Aleschinski




Menus faits & gestes que je note consciencieusement jour après jour dans un cahier spécial, je me dis que c’est inutile que je les note, ça n’a aucun sens que je les note, ça ne mène à rien que je les note, ça ne me fait avancer nulle part que je les note, c’est des événements dans la vie si menus si minuscules si dérisoires que c’est pas des événements, et ainsi les journées passent, jour après jour, sans que rien n’arrive, rien de mémorable, littéralement rien de notable, et pourtant, me dis-je, les Des Forêts et les Tu Fu ont fait ça aussi, va savoir ce qui les a pris de faire ça, puis je me dis que moi, chez eux, j’apprécie qu’ils aient fait ça, noter le pas notable, il n’y rien de notable quand il fait ciel bleu, et ils notent qu’il fait ciel bleu, qu’il fait ciel gris, noter qu’à midi la sirène a retenti, qu’un tracteur est passé avec une remorque où s’entassent des récipients pour les grappes vendangées, et Tu Fu fait une allusion à la réalité de son trépas, et aussi laisser le membre s’ériger, et savourer ça, et le manuéliser jusqu’à la jouissance, comme s’il y avait là un rapport avec la réalité du trépas, et ainsi jour après jour noter les notes du jour sans que cela ne mène à rien, c’est juste des menus moments de résistance, élémentaire & légitime plaisir d’exister.



PROSERIES
inédit



vendredi 7 octobre 2016

ÉVOCATION DU LENDEMAIN





Sur la nationale entre Soissons et Senlis, entre le chien du soir et le loup de la nuit, au bord de la route, soudain pendant quelques secondes, ces épaisses rangées de croix trapues, blanches les unes, brunâtres les autres, cimetière, (Gottesacker, disent les Allemands, labour de Dieu), centaines & centaines de croix impeccablement alignées, ordre, harmonie, géométrie, abstraction, uniformité, mais il faut regarder la route, il tombe de la neige mouillée, coups de vent, prudence, ne se faire prendre ni par le chien du dérapage ni par le loup de la culbute, rouler rouler, le soir de Marengo il resta sur le champ de bataille 16000 hommes, 4000 chevaux, cadavres jetés par le chien du soir au loup de la nuit, (ein Schlachtfeld disent les Allemands, un champ de boucherie), et par milliers ils gémissent, ne sont pas encore morts, saignent agonisent, bipèdes & quadrupèdes, agonisent toute la nuit, agonisent au lever du soleil sur Marengo, agonisent Jean Hubert André Claude René Nicolas Guillaume François Benoît, agonisent Johann Heinrich Michael Franz Wilhelm Werner Wolfgang Benedikt, agonisent, puis à Senlis c’est déjà la nuit, route mouillée, on roule prudent, ne prend pas de risques, ce qui était émouvant, c’est que les compteurs de cadavres aient compté aussi les chevaux, 4000 cadavres de chevaux, eine Schlacht, une boucherie de chevaux, une victoire une défaite, et plus tard, un soir à Waterloo on compta 50 000 cadavres, sans distinguer hommes et animaux, et le lendemain le soleil est revenu, comme tous les jours, car ce qui fait le jour c’est le soleil, et le soleil a fait son travail de tous les jours, et les vivants ont continué à vivre, les vivants ont vécu, vécu.  


LA PIVOINE DE CERVANTÈS
et autres proseries
éditions La Part commune, 2008


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jeudi 6 octobre 2016

L'INCONCEVABLE CON

photos Henri Maccheroni




L’INCONCEVABLE CON


C’est peut-être vrai, sans que je puisse expliquer vraiment que c’est peut-être vrai, je dis ça pour dire que c’est comme ça sans vraiment savoir comment c’est, il se peut que cela ait été un rêve, ou une nostalgie, ou un souhait, un fantasme, je veux dire : accéder à cette proximité-là du con de femme ; je me suis procuré un port-folio avec vingt-quatre photos noir & blanc de Henri Maccheroni, il en a fait des milliers, en deux temps, de 1969 à 1971, puis de 1972 à 1974, à raison d’une ou deux séances par semaine ; fin 1974 il décida d’arrêter les prises de vue, de choisir parmi les innombrables images les 2000 qui convenaient le mieux à son dessein et de se consacrer, désormais, au classement de celles-ci. La vulve d’une femme dont on n’a jamais vu le visage. Il est allé là où tout le monde va mais comme personne n’y était jamais allé. Avec un respect, une obsession, une fascination incomparables il est allé fouiller l’entrejambe d’une femme sous tous les angles et dans tous les détails. L’étonnante effrayante indicible beauté du sexe de femme, il l’a célébrée contre vingt-cinq siècles d’occultation et de rejet. Fruit de l’obscurité, fendu parmi le foisonnement des poils, grandes lèvres s’entrouvrant sur les fines crêtes fripées des nymphes humides – ce qui est toujours systématiquement relégué, le voilà en plan premier, gros-plan, plan unique, l’inconcevable con de femme.



LA PIVOINE DE CERVANTÈS
et autres proseries
éditions La Part commune, 2011



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mardi 4 octobre 2016

nouveaux neuvains

dessin Angelo Aversi



faudrait maîtriser
dans toutes ses nuances

le langage des mystiques
pour évoquer cette expérience-là

l’odeur intime de l’aimée
quand elle offre son secret trésor

s’abîmer dans son abîme
respirer, aspirer, goûter, savourer

tout en bas la plus haute extase




NOUVEAUX NEUVAINS
vol. 5
inédit